Tisser du sens : du fil au texte, du féminin à la connaissance

04/08/2025

Il y a un mot sans âge, qui traverse les cultures, les corps et les pensées : le fil.
Celui qu'on tend pour relier, pour créer du lien. Celui qu'on suit pour ne pas se perdre. Celui qu'on tisse pour fabriquer un monde.

Dans la tradition sanskrite, le mot "Sūtra" signifie à la fois "aphorisme" et "fil". Les Yoga Sūtra de Patañjali, ce recueil millénaire de phrases courtes et puissantes, sont littéralement des fils de pensée : des nœuds de sagesse enfilés les uns après les autres, comme des perles sur une corde. Ce n'est pas un texte linéaire, mais un tissu. Et lire ces aphorismes, c'est déjà commencer à tisser : relier l'intérieur à l'extérieur, le silence à l'action, la conscience au souffle.

Le tissage, dans de nombreuses cultures, est une activité féminine ancestrale. Créer du tissu, vêtir les corps, réparer les accrocs — cela a longtemps été l'affaire des femmes. Mais ce geste humble et répétitif est aussi hautement symbolique : il organise le chaos, donne forme à ce qui était informe. Il relie, il rassemble, il produit du sens. À ce titre, il n'est pas si différent de l'acte d'écrire, de parler, de créer.

D'ailleurs, le mot "texte" vient du latin "textus", signifiant... "tissu".

Dans les Upanishads, textes fondateurs de la pensée indienne, l'être humain est invité à se connaître lui-même. Le soi individuel (l'Atman) n'est pas séparé du monde, mais profondément lié au Brahman, l'absolu. Pour s'en souvenir, il faut apprendre à diriger ses sens, comme on tiendrait les rênes d'un attelage : les cinq sens sont cinq chevaux fougueux, la pensée en est le conducteur, et l'intellect le cocher. Être en yoga, c'est maîtriser ce char intérieur, pour éviter que les sens nous dispersent et que le tissu de soi ne se déchire.

Dans cette vision, l'unité intérieure n'est pas donnée : elle est tissée, lentement, patiemment, au fil des jours, des souffles, des gestes. C'est ce que reflète également Virginia Woolf dans son roman Les Vagues où l'écriture mime le souffle, et le mouvement de la mer. Et cette métaphore du fil ou du filet revient dans les pensées féministes contemporaines, comme chez Donna Haraway, qui parle du réseau, de l'interdépendance, de la nécessité de penser les connexions plutôt que les dominations.

Tisser, écrire, méditer, ressentir : toutes ces pratiques ont en commun de refuser la fragmentation. Elles font le pari qu'on peut tenir ensemble des choses que le monde sépare trop souvent : le corps et l'esprit, le féminin et le professionnel, l'intuition et la stratégie.

Chez Stratégie Yin, je crois profondément à ce pouvoir du tissage :
Tisser un coaching qui relie la parole au souffle, la pensée au mouvement.
Tisser des séances comme on compose un texte, avec un fil conducteur et des bifurcations.
Tisser du lien entre celles et ceux qui cherchent une autre voie — plus fluide, plus incarnée, plus créative.

Parce que nous avons toutes et tous un tissu intérieur à réparer, à renforcer, à réinventer.

Et peut-être qu'un jour, ce tissu deviendra voile.
Et qu'avec lui, nous prendrons le large.


Par Suzanne Dumouchel